Tout au bord

de Bernard Cogniaux et Marie-Paule Kumps

Les enfants sont partis, Martial le cadet est venu chercher ses dernières caisses hier soir.

Il y a quelques années… deux bébés entraient dans leurs vies ; aujourd’hui, deux jeunes hommes quittent la maison…

Reste le couple ; les enfants partis, les parents… ne dansent pas, ils perdent l’équilibre.

Pendant des années, le quotidien les a envahis, leur tenant lieu de boussole. Aujourd’hui un vague malaise s’empare d’eux… ; maintenant qu’ils ont du temps pour eux, du temps pour penser à eux, ils perdent le nord.

D’introspections maladroites en changements de vie hasardeux, ils glissent doucement de situations cocasses en épisodes plus graves, trébuchent, perdent pied, touchent le fond puis refont surface.

Premier texte de Marie-Paule Kumps et Bernard Cogniaux au Public, « Tout au bord » distille joyeusement le désarroi qui s’installe quand la maison se vide. Il sonde en profondeur nos vertiges de parents orphelins. On se retrouve « tout au bord », à la lisière de la vie. Mais, Zénon aura des grands-parents solidement accrochés à la vie, c’est promis !

Mise en scène : Pietro Pizzuti

Avec : Bernard Cogniaux et Marie-Paule Kumps

Une création du Théâtre Le Public (janvier 2008)

Presse

presse M Friche "TTau bord" photo

L’humour du désespoir

                                                                                                          JEAN-MARIE  WYNANTS

Un Couple en plein désarroi nous tend un miroir sans concessions, aussi drôle que douloureux.

critique

Quand Christelle et Olivier attendaient la naissance de leur premier enfant, ils écoutaient souvent Mozart. Aujourd’hui, les fistons ont grandi. Ils viennent de quitter la maison. Et Christelle s’interroge : « Pourquoi on n’écoute plus Mozart ? » « J’sais pas, moi, répond Olivier. T’es plus enceinte ! »

Ainsi va la vie de ce couple auquel Bernard Cogniaux et Marie-Paule Kumps avaient donné vie en 1996 avec Pour qui sont ces enfants qui hurlent sur nos têtes ? A l’époque, Olivier et Christelle découvraient la joie d’être parents.

Aujourd’hui, on les retrouve pour un spectacle où l’humour, toujours très présent, débouche petit à petit sur un désarroi bouleversant. On attendait une sympathique comédie sur les difficultés d’un vieux couple. On se retrouve, la gorge nouée, face à la détresse d’êtres humains paumés dans cette ultramoderne solitude générée par nos sociétés bâties sur le profit, la productivité et la soi-disant réussite.

Avec humour et sensibilité, les deux comédiens nous entraînent dans ce basculement vers la dépression de plus en plus fréquent de nos jours. Olivier et Christelle n’en peuvent plus de leur boulot, de leur routine, de leurs renoncements. Alors ils craquent.

La gorge nouée

Cela commence gentiment, sans avoir l’air d’y toucher. Olivier se met à la clarinette et Christelle au vélo. Chacun s’accroche à son instrument comme un naufragé à sa bouée. On rit beaucoup dans cette première partie puis le rire s’étrangle, de plus en plus souvent. Jusqu’à ce moment, anodin, où Christelle s’effondre en constatant qu’elle vient d’acheter un rôti de porc alors qu’il y en a déjà deux au surgélateur. Un incident banal mais bouleversant dans ce qu’il révèle de la fragilité de ces êtres au bord du gouffre.

Toute la pièce tient ainsi sur de petites choses qui prennent des proportions énormes : une chute de vélo, une discussion qui dégénère… De fil en aiguille, Olivier et Christelle abandonnent le boulot, négligent le courrier, se cognent de plein fouet aux absurdités d’une société qui laisse crever les gens pour mieux augmenter la productivité.

Au-delà de l’histoire d’un couple, c’est notre manière de vivre que Tout au bord interroge : les sans-papiers, les chômeurs, les sans-logis, la Belgique qui se délite, la dépression, une société qui va droit dans le mur…

On rit beaucoup, on est touché constamment et on a la gorge nouée à plusieurs reprises tant le duo a su observer nos fragilités, les traduire en langage théâtral et les interpréter avec une sobriété et un engagement bouleversants. Du coup, on oublie les quelques maladresses qui émaillent ce texte aussi drôle que généreux et douloureux. Car comme le dit Olivier : « On n’a pas d’autre solution que la naïveté pour s’en sortir. » Et cette naïveté-là fait un bien fou par les temps qui courent.

                                                                                                                  Le Soir  18 janvier 2008


Publié

dans

par

Étiquettes :